Francine Flandrin

L’atelier de Francine Flandrin dans le 9ème arrondissement de Paris est tour à tour le lieu de travail, lieu de vie, lieu d’expérimentations artistiques comme culinaires. C’est un lieu de passage, puisqu’elle vit dans un passage.

Francine Flandrin est une artiste polymorphe, organisée, méticuleuse et fragile,  elle prépare les rêves des autres, les retranscrit,  en hérite quelques fois. 

C’est, par exemple, en remplissant un questionnaire sur nos vanités qu’elle peut ensuite les peindre. Chaque personne dispose alors de l’analyse de l’artiste sur une toile avec un certificat bien sûr.

Le mot a son importance, les certificats aussi.  

Francine Flandrin déploie ses armes: de la performance, à la peinture, à la sculpture, le dessin , et gratte nos âmes au plus profond nous laissant seul-e-s avec nos blessures ou nos fantasmes. 

L’atelier transpire l’artiste, Francine est l’horlogère, ou plutôt la mécanicienne de nos âmes, nous attend en salopette salopée et commence à engrener notre usine à rêves déglingués.

Tout est organisé, millimétré afin de permettre à l’artiste une vie de métamorphoses rapides nécessaires et protocolaires  à ses activités d’artiste , sociales et personnelles. 

Tantôt lectrice, cuisinière, un peu psy, coureuse de fond,  peut-être même chimiste, peintre,  dadaïste sans aucun doute. 

Et en un tour de toupie qu’elle incarne, Francine a déployé une série de dessins, de grands formats comme réalisés d’un seul trait au crayon noir, épais et circulaire placent les enfants au centre (de notre monde). Les enfants comme seuls survivants de notre civilisation qui, on l’aura vite compris, a viré au cauchemar;  des dessins hypnotiques, puis surgit un travail sur les chaussures ( Step into my shoes)  au fil du temps et ses messages sur nos sociétés et les êtres qui les construisent. 

Après avoir regardé des dessins, des peintures, des vidéos, parcouru la vie de sa mère et la sienne, on repart vanné comme après un exorcisme, ou la lecture d’essais de Paul Preciado;  la violence est saine quand est  elle est créatrice et  surtout dans un passage du 9ème arrondissement de Paris. 

On repart avec une phrase, « J’ai perdu mon temps : la seule chose importante dans la vie, c’est le jardinage. » Sigmund  Freud

Vanités, les nouveaux commanditaires
tableau : huile / toile 97 x 147 cm – fiche : impression / papier 21 x 15 cm Vanités les Nouveaux Commanditaires, Pierre Monjaret aka Auguste Legrand – auteur du Guide Legrand des Buffets de Vernissages – 2010

Mot compte triple
set de trois bagues, lettres de Scrabble, écrin, 2012

We can be heroes, le vélo
1,52 x 1,52 m, fusain sur papier Montval 300 g, Francine Flandrin, 2020

 

 

 

flandrin.f2@orange.fr
facebook.com/francine.flandrin
instagram.com/francineflandrin

 

Alida Cervantes

Alida Cervantes est une artiste mexicaine vivant à San Diego et dont
l’atelier se trouve à Tijuana de l’autre côté de la frontière. Tous les jours Alida, fait le chemin comme tant d’autres de passages de frontières, l’aller est facile, le retour peut prendre du temps…
Son atelier jouxte des magasins de pneus, de réparations de voitures, de fleuristes et de cuisines à tortillas. 

La vie est calme à San Diego et sans violence, Tijuana a, au contraire, une mauvaise réputation, mais elle a l’énergie de ceux qui se battent pour obtenir une vie meilleure.
Alida Cervantes parle de son début de carrière d’artiste sans grand intérêt, beaucoup de techniques acquises à Florence, notamment pour le dessin, mais sa pratique artistique est renfermée et stressante.
 Et puis c’est la découverte des casta, ou peintures de castes, ce genre iconographique apparu au 18ème siècle en Nouvelle Espagne, futur Mexique, et qui en peinture révèle les différents genres ou races implantés par la colonisation espagnole; la variante étant bien sûr le métissage. Les casta sont destinés à être envoyées en Espagne afin de montrer le développement de l’implantation d’un tel ou d’un autre.
Peinture relatant la domination des blancs, c’est aussi un formidable témoignage iconographique (de l’évolution) de cette colonisation.
Le travail d’Alida commence par des heures d’esquisses, pas un jour ne passe sans qu’elle s’exerce à dessiner des scènes de caste, à les déstructurer en vue du passage à la peinture. Le passage du dessin à la peinture laisse l’idée de l’image sur le bas côté, le travail devient physique, l’aventure picturale peut commencer et elle se passe sur des supports différents, de la toile, à la plaque de bois, et plus récemment sur des plaques brutes d’aluminium.
La peinture exacerbe les personnages qu’ils soient des peintures de casta ou d’autres scènes, ils s’affranchissent complètement du poids de l’histoire et de la représentation, se moquant ainsi de tous ces ordres moraux comme la religion, le mariage, le grade, en exprimant une désinvolture. L’artiste montre les relations de pouvoir entre les êtres quelque soit leur différence. Comme gonflées aux stéroïdes du 21siècle, nudité, sexe, castration, pornographie, religion dégradante et toutes autres joies, les scènes des tableaux d’Alida racontent une Histoire tout autant que nos histoires contemporaines, à la manière d’une Pussy Riot !
Alida peut dans ses déplacements en compagnie de ses deux chiens Lluvia et Blanca, méditer sur ce besoin qu’elle a de passer d’une culture à une autre, d’un monde à l’autre, avec toujours au milieu : son atelier. 

 

El INMIGRANTE , 2021Oil on aluminium, 70 × 60 in, 177.8 × 152.4 cm
LA NUBE, 2017, oil on found wood, 15 X 20 in.
TENTE EN EL AIRE, 2017, oil on found wood, 40 x 24 in.
NO SE PORQUE PERO SE AGACHA, 2017, oil and enamel on found wood, 23 x25 in.

All pictures © Alida Cervantes

http://www.alidacervantes.com/

Hadassah Emmerich

 

Hadassah Emmerich est une artiste hollandaise vivant et travaillant à Bruxelles. (Nous nous sommes rencontrées à Molenbeek pendant la foire alternative poppositions de 2016 où elle exposait une série de dessins. )

L’atelier Hadassah se trouve dans le quartier de Saint Gilles, on y trouve des châssis, des tableaux, des dessins et beaucoup de pochoirs en vinyls entassés, ou plutôt comme archivés en prévision de futures pièces. On se croirait presque en fait dans un atelier de confection de mode, chez une couturière qui reviendrait sans cesse  vers ses anciens croquis…Regarder un tableau ou une série, ou un mur de l’artiste et la comparaison avec la couture s’arrête là…nous sommes transposés sur un ring ou les couleurs et formes s’harmonisent ou se repoussent entre des désirs et des  réalités, comme au milieu d’une jungle où on entendrait des oiseaux nous hurler de foutre le camp.
Le monde est quelquefois trop petit pour contenir l’énergie de l’artiste mais heureusement ses nouveaux projets, notamment institutionnels, lui permettent de se projeter autrement que dans l’enceinte parfois morose du white cube.
C’est ainsi qu’une commande de l’ambassade néerlandaise à Jakarta ( son père est indonésien)  lui permet de se lancer dans l’élaboration d’œuvres murales. Réalisée à partir de 2018, cette fantastique fresque réalisée en deux temps lui permet d’élaborer une nouvelle façon de travailler.
Comme elle le dit les débuts de ses oeuvres murales sont douteux, la logistique est mal gérée et les erreurs grossières et puis elle trouve la formule : l’énergie dans la conception, le travail en équipe, le travail avec des institutions, apprendre à produire et à déléguer plus pour ainsi se concentrer sur l’ensemble de l’œuvre.
Les pochoirs archivés deviennent peu à peu les pièces centrales, en tous les cas les axes, ils sont là pour aider les transitions de formes, pour créer un équilibre mais en même temps pour déstabiliser la peinture, la renverser et la challenger.
En 2021,  elle réalise à Centrale, une ancienne centrale électrique à Bruxelles.
The Harvest” (La récolte) une œuvre murale de 25 mètres explosive dans une exposition de groupe s’intitulant  : BXL Universel II: multipli.city. 
La même année, “ The inverted table” est montrée aux Pays Bas dans l’exposition « Trailblazers » , composée de cinq tableaux verticaux bordés par des vitrines aux verres colorés, où sont installés des re-collections de souvenirs d’enfance (textes, cartes postales, petits objets, pièces de monnaie, et photographies de voyages), et des documents empruntés au Palais Royal d’Amsterdam ou l’installation est par ailleurs visible.  Hadassah Emmerich a enfin atteint son but en quelque sorte en faisant de sa peinture une œuvre spatiale, accélératrice de sentiments picturaux.
Ces jours prochains ouvre “Beating Around the Bush # 7 : False Flat” au musée Bonnefanten de Maastricht. L’institution a décidé de présenter sa collection en différents épisodes où les différentes pièces dialoguent avec des interventions extérieures. Une nouvelle fois, Hadassah présente une ambitieuse pièce murale permettant la multivocalité des  formes et des contenus selon le souhait des curateurs du musée au sein de la collection.

 

 

All photos © Hadassah Emmerich © Benning&Gladkova; ©Niek Hendrix ©Maartje Fliervoet. ©Hugard & Vanoverschelde ©anne maniglier 

Texte : anne maniglier 

http://www.hadassahemmerich.com/

AurelK

 

AurelK
Vue d’atelier.

L’atelier d’AurelK se trouve en plein cœur de Montparnasse, poumon artistique depuis le début du XXe siècle et resté de nos jours un quartier fécond pour les artistes. 

Situé rue Boulard, dans un bâtiment occupé autrefois par le conservatoire de musique du XIVe arrondissement, AurelK a investi depuis novembre 2020 un petit atelier. 

Formé à l’École Boulle, AurelK suit aussi des cours d’art lyrique au conservatoire avant de se consacrer pendant deux ans à une école de cinéma pour devenir réalisateur, il occupe ensuite le poste de décorateur de plateau pour les films d’animation et le live motion (prise de vue réelle). Il y a un an, sa décision est prise, il se consacre dorénavant uniquement à son travail plastique.  Selon lui, “l’art nourrit toujours un autre art.” 

AurelK travaille sur des toiles immaculées sur lesquelles il crée des formes minérales ou géologiques issues de son imaginaire. Depuis toujours fasciné par les minéraux et les pierres, l’artiste réinvente des formes laissant libre cours à son inconscient sans vouloir prévoir ou influencer le résultat final. 

Son processus créatif est immuable. Afin de se laisser le plus de chance possible à l’aléatoire, AurelK se plonge dans une espèce de méditation entre silence et musique baroque. 

Ses formes sont construites au scotch posé sur la toile, l’artiste venant “remplir” l’espace du dedans qui devient espace minéral. L’on pense aux menhirs et autres installations géologiques mystérieuses des terres celtiques. 

Seules constantes : l’emploi du bleu de Prusse, la feuille d’or et le fusain. Le bleu de Prusse, aquarelle ou acrylique, se reconnaît à sa profondeur et le velouté de son pigment. Le bleu de Prusse se décline en camaïeu, du clair au foncé, le résultat se découvre in fine.

Bleu, Michel Pastoureau. Atelier d’AurelK

La prestigieuse galerie Larock-Granoff à Paris lui a offert en juin dernier ses cimaises partagées avec l’artiste puriste Amédée Ozenfant (1886-1966). À la fin du mois, le second espace de la galerie, galerie Katia Granoff, à Honfleur, présentera de nouvelles œuvres d’AurelK. Enfin, en début d’année prochaine, l’artiste qui avait été le lauréat 2020 de la résidence Bouchor présentera son travail à la galerie du Montparnasse. 

Actualités : 

  • Murs Blancs”, 17 septembre-3 octobre 2021, en ligne et visible chez Archik sur rendez-vous. 
  • Galerie Katia Granoff, Honfleur. À partir de fin septembre 
  • Galerie du Montparnasse, Paris, 18 février-3 mars 2022. Exposition de restitution de la résidence Bouchor. 

Textes et photos ©Clotilde Scordia

Vaultman

Habitué à travailler sur des formats monumentaux, Vaultman travaille pieds nus, ce qui lui permet de se mouvoir librement autour de la toile posée à terre, sans châssis, sans attaches, et de marcher dessus dans une sorte de désacralisation de l’objet maître.

Vaultman est un artiste français qui a installé son atelier à Montreuil après plusieurs années passées en Espagne. De formation scientifique, il est également vétérinaire et ostéopathe pour chevaux de course, Vaultman a grandi dans une famille d’artistes et commence à exposer son travail en 2017 en Espagne où il vit à cette époque. Revenu en France depuis, il continue de travailler dans son atelier de Montreuil tout en voyageant pour soigner des chevaux de course.

L’artiste procède avec la toile dans un corps à corps donnant l’impression d’une chorégraphie. Et cette impression n’est pas feinte car Vaultman, de par sa formation d’ostéopathe, est familier du mouvement, de l’équilibre, de l’énergie et de la façon dont elle doit circuler pour une harmonie parfaite. 

Vaultman dans son atelier de Montreuil
Vaultman dans son atelier de Montreuil ©Manu Milhau

Posés à ses pieds, les encres et les peintures que l’artiste choisit d’utiliser par application rythmée et réfléchie. Ses instruments d’artiste ne sont pas ceux que l’on a l’habitude de trouver dans l’atelier de peintre classique. Vaultman crée parfois lui-même ses instruments ou les customise : racloirs, peignes de feutres, lames de rasoirs, pinceaux… D’ailleurs, une installation vidéo posée à 90° au-dessus de la toile opère une captation en time laps permettant de se rendre compte, en accéléré certes, de la façon dont il procède. 

©Manu Milhau

Un point nodal du travail de Vaultman est l’idée de LIEN. Lien qui lie les hommes entre eux mais aussi le lien entre l’Homme, le Temps et l’Espace. Le temps est difficilement conceptualisable, chacun ayant son propre rapport au temps ou à ce concept. Éminemment abstrait, la représentation concrète du temps est impossible mais l’on peut user de métaphores. L’une de ses œuvres monumentales intitulée TIME (450 x 700 cm)  se compose de 8 grandes feuilles de taille identique. Chacune de ses feuilles est peinte indépendamment des autres bien que toutes soient pourtant conçues en fonction des autres.  L’ensemble peut ensuite être présenté dans n’importe quel sens, chaque feuille peut être déplacée par rotation horaire ou anti-horaire, telles les aiguilles d’une horloge. Chaque configuration de TIME est unique et propose différentes compositions possibles.

Do you see the Future 3, 2020, acrylique et encre de Chine sur toile, 220 x 145 cm.
The Door, 2020, acrylique sur toile, 200 x 200 cm.

Dans sa prochaine exposition, la première en France, Vaultman présentera une vingtaines de toiles libres monumentales dans un lieu d’exception, le garage Mannes à Ivry, véritable garage qui se transforme parfois en plateau de cinéma. Il investira 800 m2 de l’espace Mannes et le toit-terrasse où il se produira lors d’une performance avec des danseurs de break dance qu’il a l’habitude de convoquer pour certaines de ses toiles. Artiste et danseurs travaillant en osmose, les corps se mouvant dans l’équilibre précaire de la surface de la toile posée à terre et la même énergie créative. Les mouvements des danseurs, contrairement aux femmes-pinceaux orchestrées par Yves Klein lors de ses performances anthropomorphiques, répondent tacitement à la geste picturale de l’artiste. À découvrir absolument ! 

Vaultman

à voir : Motion Poursuit #004: The Link

Du 5 au 27 juin 2021, Garage Mannes, 36, rue François-Mitterand, 94200, Ivry-sur-Seine 

Texte : © Clotilde Scordia 

Crédits photo : ©Manu Milhau et Clotilde Scordia

 

Vidisha – Fadesha

   





Iel sont à New York en résidence avec le collectif Afterpartycollective et Saunak Mahbubani (co-fondateur) au ISCP et pas de retour programmé en Inde avant des mois.
Videsha Saini devenue les Vidisha-Fadescha-  sont né-e-s en Inde, et travaillent  à Delhi,  mais aussi en bougeant,  en se mobilisant et surtout en collaborant :  artiste, curateur, activiste anti-castes cela va de soi dans un pays qui part déjà depuis un moment à la dérive avec son nationalisme populiste.
Les Vidisha-Fadescha se définissent comme trans, queer, non-binaires, et leur art dès ses débuts a pris le chemin de l’activisme.
C’est le choc d’Occupy Wall Street en 2011,  alors que Vidisha  était en train de finir ses études aux États-Unis,  qui va changer sa vie, elle doit rentrer en Inde et essayer de bouger cette société indienne.
Pour comprendre le travail des Vidisha-Fadescha, il faut d’abord se débarrasser de l’image ”Incredible India” qui convient à tant de gens, et lire les classiques du système anti-castes, l’emblème de cette lutte, B. R. Ambedkar ( 1891-1956) : dalit, intouchable, Ambedkar s’éduque dans les plus grandes universités de la planète et devient entre autre,  l’un des artisans de la constitution indienne, lançant des actions publiques contre le système oppresseur des castes telle que boire de l’eau à une fontaine publique.
La pratique des Vidisha-Fadescha challenge le corps social indien et bouscule l’institution, dérange la lente gentrification des milieux de l’art.
Alors l’institution artistique en Inde, c’est…. pas grand chose, des galeries pas très engagées, beaucoup supermen désabusés et abusifs.
Les Vidisha-Fadescha ont donc pris leur distance avec cette scène artistique sans importance, ou la norme sexuelle, sociale, religieuse est souvent bien alignée au pouvoir.
Les Vidisha-Fadescha se sont métamorphosé-e-s en DJ activiste, la “night life” est devenue leur véritable champ d’actions, c’est là qu’iel touchent les jeunes, qu’iel les aident à briser les dernières chaînes d’une société hindoue, patriarcale et dominatrice.
Toucher plus de jeunes avec l’aide de la performance, être out complètement et encourager les jeunes à assumer leurs différences sexuelles, religieuses etc… dans un pays de plus en plus en proie au fascisme spirituel.
Dans la performance “some dance to remember, some dance to forget “, Fadesha et Saunak Mahbubani sont allongé-e-s sur un lit dans une scène intime d’un couple : se parlant, mangeant, s’embrassant en arrière fond défile le texte de la loi de protection “THE TRANSGENDER PERSONS (PROTECTION OF RIGHTS) ACT, 2019” qui donne enfin une reconnaissance des droits aux  personnes transgenres.
Dans la vidéo performance queer collaborative   “ BURN ALL THE BOOKS THAT CALL YOU THE UNKNOWN” (brule tous les livres ou  on te traite comme un-e inconnu-e-s)  4 personnes se mettent en scène sur le dance floor laissant libre cours à leur corps seuls désormais capables de communiquer collectivement des violences, harcèlement subis individuellement; un des performers prend plaisir avec le cordon en coton que chaque Brahmane ( homme bien sûr)  se doit de porter 24/24 sur son torse.  Ces vidéos sont projetées au cours de soirées, et permettent que d’autres idées collectives surgissent.
On espère VITE voir les Fadesha et ses compères en France en résidence et en concert à la Gaîté Lyrique par exemple !
souncloud.com/fadescha
https://apexart.org/fadescha-mahbubani.php

http://vidisha-fadescha.com
crédits photos
Studio : Shaunak Mahbubani
Street photography: Caitlin Adams

Kubra Khademi

 

Kubra Khademi dans son atelier de Romainville, Fondation Fiminco, avril 2021

Installée en France depuis 2015, Kubra Khademi, née en 1989 dans une famille afghane originaire de Ghor et réfugiée alors en Iran, est une artiste pluridisciplinaire qui a fait du féminisme son cheval de bataille. Formée à l’université de Kaboul puis à la Beaconhouse National University de Lahore, elle se fait remarquer en 2015 avec sa performance Armor pour dénoncer le harcèlement de rue incessant et violent dont sont particulièrement victimes les femmes afghanes. Vêtue d’un maillot-armure de fer soulignant la poitrine, Kubra Khademi arpente les rues du centre de Kaboul sous les insultes, les moqueries et les menaces des hommes. Durée de la performance : quelques minutes à peine. Les menaces de mort la poussent à quitter l’Afghanistan pour la France où elle atterrit le 24 mars 2015 à 8h00. L’artiste parle alors de sa seconde date de naissance. Réfugiée politique, elle commence par apprendre le français à la Sorbonne avant d’occuper une résidence à la Cité Internationale des Arts de Paris pendant deux ans de 2017 à 2019. Cette même année, elle fait partie des nommés de la Bourse Révélations Emerige. Depuis mai 2020, la Fondation Fiminco (Romainville) met à sa disposition un grand atelier baigné de lumière qu’elle partage avec l’artiste canadien Benny Nemerofsky.

Lorsque nous la rencontrons, Kubra Khademi explique que cet atelier lui permet de prendre le temps de mieux réfléchir à son travail, à sa pratique. Même si l’artiste est en état d’alerte permanent pour sa création (elle se balade en permanence avec un carnet pour prendre des notes ou tracer des croquis ne considérant pas que l’espace défini de l’atelier doit être l’unique lieu de création), cet atelier lui permet de se poser et se concentrer. Elle considère tout son travail, sa démarche, ses croquis, études, performances, dessins, photographie, installation… tout est œuvre.

 

Dans les ateliers qu’elle a occupés successivement, sa pratique a pu évoluer, ses dessins ont changé de dimension, s’autorisant à créer sur des supports plus monumentaux. Précédant tout son travail, elle dessine un projet, avant de le confronter dans l’espace. Revendiquant son acte créateur en permanence, Kubra multiplie les statuts emblématiques de liberté et de castration : femme, musulmane, afghane, réfugiée, exilée…

La récente exposition (From the Two Page Book) que lui a consacré la galerie Éric Mouchet à Paris présentait de grands formats sur papier montrant un défilé de femmes libérées de toute contrainte patriarcale : femmes nues célébrant la puissance de leur désir et de leur jouissance reléguant l’homme à un rôle subalterne voire inutile, comme cette femme agenouillée offrant sa vulve saillante au spectateur, un hommage à Baubo, personnification antique de la « vulve mythique » selon Georges Devereux. D’autres œuvres représentent en gros plan, la pliure d’un coude ou d’une aisselle stylisant le pubis.  Le texte écrit par son compatriote Atiq Rahimi rappelle quel fût l’élément fondateur dans l’imaginaire de l’artiste : la découverte, enfant, de la nudité des femmes qui se retrouvent au hammam, lieu d’abandon et de récits débridés et fantasmés où les femmes peuvent parler librement, sans risque d’être jugées. Passé ce choc visuel, la jeune fille commence à dessiner des nus, en cachette de ses parents mais reste hantée par la crudité du langage des femmes entre elles. Dès lors, son œuvre porte la marque puissante de cette liberté cachée.

Une autre œuvre (Première ligne) interpelle le visiteur par sa puissance narrative, un monumental quadriptyque de plus de 2 mètres de long représentant une frise de femmes, tout à tour, centauresse ou enceinte, statiques, déféquant ou armant leur arc. Malgré la crudité des sujets et les attitudes licencieuses de ses modèles, Kubra Khademi apporte un soin particulier à leur réalisation : un dessin précis à la gouache rehaussée de feuille d’or à laquelle elle associe parfois une broderie. Un classicisme auquel elle ajoute l’héritage de l’art millénaire de la calligraphie persane, qu’elle détourne pour écrire les vers d’un conte du mystique soufi Rûmi (XIIIè siècle) racontant l’accouplement d’une femme avec un âne.

Dans l’univers de Kubra Khademi, les femmes sont autonomes. En recréant un univers matriarcal, l’artiste redonne aux femmes leur identité originelle et réhabilite leur propre désir. Ainsi elles accouchent seules, mais en expulsant de leur utérus des animaux, elle donne libre cours à un imaginaire surnaturel. Dans ses représentations fantasmées, ses femmes s’approprient également des armes à la stylisation phallique (arc tendu, canon, sabre …) et leur gynécée se transforme en lupanar.

Kubra travaille actuellement à sa nouvelle série, Giving Birth (une suite de sérigraphies sur tissu blanc et brodé à l’or) qui sera exposée à Guyancourt en janvier 2022 sous le commissariat d’Élise Girardot. Des femmes accouchent d’animaux rappelant le rôle démiurgique de la femme dans les traités de sorcellerie. Des Caprices de Goya à l’univers luciférien de Félicien Rops, de Baudelaire aux surréalistes, Kubra s’inscrit dans la démarche mémorielle d’un exorcisme universel.

Kubra Khademi présentant sa série « Giving Birth » en cours de réalisation.

Une autre série en cours (15 oeuvres de grand format) sera dévoilée en octobre 2021 dans le cadre de l’exposition « 1% marché de l’art » en soutien aux artistes dont la commissaire est Camille Morineau au Musée d’art moderne de la ville de Paris. À la fin de l’exposition, Kubra Khademi détruira toutes ces œuvres dans une performance qu’elle explique : se sentant blessée d’être poursuivie pour ce qu’elle fait et représente, elle veut revendiquer ainsi son droit unique et absolu de garder le contrôle de ses œuvres.

Aujourd’hui, Kubra Khademi attend de pouvoir rejoindre New York pour une résidence de six mois à la Fondation Salomon (elle est lauréate 2020 du Salomon Foundation Residency Award), tout en ajoutant qu’elle reviendra vivre et travailler à Paris, une ville selon elle, très compétitive pour les artistes.

Le 25 juin 2021, son travail de restitution de résidence à la Fondation Fiminco présentera son projet conçu en collaboration avec son compagnon américain, une réflexion sur leur identité respective et la portée politique de leur couple.

 

Texte : Clotilde Scordia

Photographies : ©Clotilde Scordia

Larissa Fassler

Larissa Fassler est une artiste canadienne installée à Berlin depuis près de quinze ans. Son atelier se situe dans le quartier Schöneberg, dans un immeuble abritant quelques 35 artistes, graphistes, historiens, architectes, sociologues, free lance et consultants.
Le travail de Larissa est constitué de dessins sur des grandes toiles, qui au premier abord ressemblent à des études de terrain, à des préparations d’architectes en vue d’apprivoiser les espaces et les êtres. Le travail de Fassler, comme le lieu qui l’abrite, se veut aux croisées de pratiques convergentes et divergentes.
En y regardant de plus près nous nous apercevons que les dessins s’emploient plus à décrire un monde, un lieu, des lieux en y montrant toutes les difficultés physiques et mentales que les architectures modernes engendrent sur les humains mais que les humains essaient de reconquérir dans une poésie urbaine, cimentée, forcée.
Tous ces “non-lieux”,  qui servent souvent une idée comme celle du capital, même collaboratif ou du colonialisme, tentent pourtant  de reprendre une liberté même éphémère.
L’humain y grave son passage, sa présence nécessaire et superflue ou tout contact est finalement proscrit.
Dans une tradition toute canadienne de L’art : un art public, dans son ensemble gratuit et dans des villes qui soutiennent leurs citoyens- artistes,  le travail de Larissa Fassler nous ouvre les yeux sur nos passages qui semblent de plus en plus précaires et téléguidés par des enjeux qui ne nous concernent plus.
Initier des dialogues entre les mondes nous apparaît de plus en plus fragile, d’ou cette poésie des lieux sans fin, qui marque la fin de nos temps.

All pictures from © Larissa Fassler

Texte : Anne Maniglier

Julie Chovin

 

Artiste française installée à Berlin depuis 2010, Julie Chovin partage son atelier avec un autre artiste dans le quartier de Schönberg à proximité de son domicile de Kreuzberg. Le choix de Berlin s’est imposé à l’artiste qui avait besoin de temps et d’espace pour travailler. Terre promise des artistes depuis le début du XXè siècle, Berlin bénéficie de grands espaces disponibles aux loyers abordables jusqu’à il y a peu. Après s’être formée à l’École d’art et de design de Saint-Étienne, Julie Chovin effectue une résidence à la Générale en Manufacture à Sèvres en 2008-2009 puis est lauréate du Prix Icart en 2009 ce qui lui vaudra de montrer son travail à la galerie RX à Paris. Elle y présente sa série Objects portant sur la représentation d’objets équivoques (sextoys, pinces en métal, prothèses sexuelles..) peints à l’aquarelle sur papier de grand format. Ces objets agrandis à l’extrême et en détail brouillent leur reconnaissance par le regardeur. À cette époque, son travail interroge les injonctions faites aux femmes de sourire, d’être minces, d’être belles mais surtout de se taire ! (séries Empreintes ou Smiles). À partir de sa réflexion sur le(s) corps, Julie Chovin élargit son propos en s’attaquant à la “circulation des corps dans l’espace construit”. Berlin est en cela le matériau idéal tant la ville porte les traces de son passé comme un site archéologique où chaque strate dévoile et documente une époque. 

Photographie, installation, dessin, vidéo… tous les médiums sont bons pour cartographier le centre urbain et son architecture intrinsèquement liés à ses habitants. En perpétuelle mutation et progression, l’architecture urbaine agit comme un corps qui se meut. La photographie Die Poesie der Baustellen (La Poésie des chantiers) montre cet espace in-fini (au sens que le paysage est en cours, en transition). 

 

Série CONSTRUCTION/DESTRUCTION, 68 x 48 x 4 cm, photographies sur plexiglas, 2018

 

Flying Castle, plexiglas, 2018

Les vestiges des architectures du passé, notamment en lien avec l’idéologie communiste, sont également des marqueurs de cette inscription du corps dans un espace-temps. Polonaise After-Party, installation de 2018, tente de recréer l’architecture ambitieuse de l’hôtel Polonez de Poznan avec différents matériaux fragiles et éphémères (draps, ballons, scotch, miroir…). À l’architecture rigide communiste, l’artiste y substitue une architecture aérienne et festive. Architecture et Histoire permettent d’appréhender une ville, un pays. La série The Place to Be entamée en 2013 montre Berlin photographié, dessiné sous un autre aspect : sa culture underground, ses clubs et ses boîtes de nuit cartographiés de jour et vues de leurs arrière-cours.

Travail en cours de la série The Place to Be. Un livre sortira à la fin de l’année 2020

Cartographier permet de sauvegarder. Spéculations immobilières, destructions et reconstructions rapides de l’urbanisme, le visage des villes change en permanence. Dessiner de mémoire est l’un des processus artistiques employé par Julie Chovin. 

Dessins réalisés lors d’une résidence au Japon en janvier 2020. Carte réalisée de mémoire d’une maison japonaise où se retrouvaient les résidents.

Dessin de la maison moderniste des grands-parents de l’artiste au Maroc. Travail en cours

Photographie imprimée sur tissu représentant les pieds de manifestantes Anti-Pegida

 

Texte : Clotilde Scordia

Photographies : ©Julie Chovin

Site de l’artiste : http://www.juliechovin.com/

Mauro Bordin

Artiste italien né à Padoue en 1970, Mauro Bordin sort diplômé en 1992 de l’Académie des beaux-arts de Venise. Depuis les années 2000, il vit à Paris après plusieurs voyages en Chine, en Indonésie, au Japon et en Nouvelle-Calédonie qui firent office pour lui de Grand Tour. Depuis, Mauro a installé son l’atelier à Clichy au sein de l’Atelier OBLIK qui regroupe d’autres ateliers d’artistes.

Progetto Hiroshima (Projet Hiroshima), 2001-2003 ©Patrick Gaffet

L’oeuvre maîtresse de l’artiste est sans doute son Projet Hiroshima, initié en 2001 et qu’il développe pendant les deux années suivantes. Ce projet gigantesque (une fresque de centaines de feuilles de papier composant un ensemble de plus de 30 mètres de long) a scellé son intérêt pour les catastrophes naturelles et humanitaires : tremblements de terre, naufrages, guerres, bombe atomique… En octobre 2019, Projet Hiroshima a été exposé aux Grandes Serres de Pantin dans le cadre de l’exposition collective “Jardinons les possibles” (commissariat d’Isabelle de Maisonrouge et Ingrid Pux). 

L’atelier de Mauro est rempli de toiles de toutes tailles en cours ou achevées, une multitude de pinceaux et de pâtes de couleurs jonchent son atelier. Son atelier semble minuscule au vu de ses projets hors-normes.  L’artiste travaille religieusement sur des formats monumentaux, l’Histoire et ses histoires ont besoin de grands espaces.  Histoires de vide, de silence ou de stupeur après des accidents humains, nucléaires voire bactériologiques… Mais loin de là la volonté de n’y voir qu’une peinture pessimiste et mortifère. La vie et l’espoir sont toujours présents. L’homme n’est jamais absent de ces paysages désertiques tout comme la flore, en abondance, en “all over” sur la toile. Le fertile et le vivant ont toujours le dessus sur les ruines d’Hiroshima ou d’autres villes bombardées. 

Jusqu’au 14 septembre 2020, Mauro Bordin expose à la galerie des Jours de Lune, “J’ai 800 ans”. 

Site de l’artiste : Mauro Bordin 

Texte : Clotilde Scordia 

Remerciements : Mauro Bordin, Jasna Ruljancic, Patrick Gaffet

Toutes les photos ©Jasna Ruljancic sauf mention contraire